Les grands marchés automobiles européens s’efforcent d’améliorer leurs infrastructures de mobilité électrique pour stimuler les ventes de véhicules zéro émission. Mais de l’avis de certains, le problème se mord la queue : les ventes sont trop faibles pour justifier des investissement — pourtant nécessaires pour améliorer l’adoption.
À travers l’Europe (y compris Royaume-Uni et AELE), les véhicules électriques à batterie ont gagné en popularité au premier semestre, à 11,6 % des immatriculations de voiture neuve. L’an dernier sur la même période, on était à 7,6 %. Au total, le nombre d’électriques à batterie vendus au premier semestre 2022 a grimpé de 31,6 % sur un an, soit 647 479 véhicules vendus dans la région entre janvier et juin.
Selon l’Association des constructeurs européens d’automobiles (ACEA), fin 2020, les électriques à batterie représentaient 0,5 % du parc de l’Union européenne, chiffre qui a probablement augmenté, vu les volumes élevés d’immatriculation en 2021 et 2022.
Reste que l’infrastructure de mobilité électrique ne suit pas : le fossé pourrait vite se creuser entre les pays aux réseaux d’électricité et de recharge bien développés et les autres. Alors que la Commission européenne vise l’arrêt de la vente de tous les véhicules émetteurs de carbone d’ici 2035, tous les regards se tourneront vers l’infrastructure.
Deux pays seulement dominent en matière de recharge
En juin 2022, l’ACEA publiait une étude illustrant le problème. La moitié des bornes publiques pour véhicules électriques de l’Union est située dans deux pays, aux Pays-Bas (29,4 % des bornes) et en Allemagne (19,4 %). Leur territoire ne représentant que 10 % de la superficie de l’UE, les 90 % restants doivent se partager 51,2 % de l’infrastructure de recharge.
Et l’écart entre les pays dans les résultats de l’ACEA est énorme : les Pays-Bas ont 1 600 fois plus de bornes que le pays le moins bien doté, Chypre. De fait, les Néerlandais ont plus de points de recharge que 23 autres États membres combinés.
Le fossé est net également entre pays d’Europe centrale et de l’est d’une part et Europe occidentale de l’autre. Ainsi, la Roumanie est six fois plus étendue que les Pays-Bas mais ne dispose que de 0,4 % du réseau européen de recharge.
« Actuellement, il y a environ 3 000 stations de recharge en Roumanie pour 14 000 véhicules électriques à batterie, commente Ulmis Horchidan, rédacteur en chef à Eurotax Roumanie (groupe Autovista). Cependant, le ministère de l’Environnement prévoit d’en construire 15 000 de plus dans les quatre à cinq ans à venir. »
Si le terrain gagné par ces véhicules en Roumanie peut sembler impressionnant, avec une hausse de 410,3 % au premier semestre 2022 par rapport à l’année précédente selon l’ACEA, Ulmis Horchidan prévient que le tableau est tout autre quand on compare à d’autres motorisations.
« Pour chaque véhicule neuf vendu localement, tous moteurs confondus, trois occasions sont importées chaque mois, ajoute-t-il. De plus, presque tous les nouveaux électriques à batterie ont été achetés grâce à une des primes d’incitation les plus généreuses de l’UE, d’une valeur de 10 000 €. Cela a boosté les immatriculations pour cette motorisation mais elles ralentiront sans doute. »
La Roumanie est aussi avant-dernière de l’UE pour l’âge moyen de son parc, 16,9 ans. Il est clair que les conducteurs se séparent plus tardivement de leur voiture, ce qui signifie que le marché de l’électrique rechargeable a encore beaucoup de chemin à faire pour atteindre la popularité critique justifiant des investissements supplémentaires d’infrastructure. Selon l’ACEA, fin 2020, les électriques à batterie constituaient seulement 0,1 % du parc du pays.
La croissance se poursuit sur le continent
Cependant, la situation en termes d’infrastructure de recharge n’est pas problématique sur tous les marchés de petite taille. Il y a environ 2 millions de véhicules de moins qu’en Roumanie en Autriche, qui se classe néanmoins 5e en Europe pour la densité de bornes de recharge calculée sur la population et 7e en densité sur la superficie.
« Il y a actuellement 14 000 bornes en Autriche, exploitées par 350 sociétés différentes, explique Robert Madas, directeur régional évaluations chez Eurotax (groupe Autovista) Autriche, Pologne et Suisse. Les électriques à batterie représentent environ 13,6 % des immatriculations de voitures neuves ; on en compte 93 811 sur les routes autrichiennes, soit 1,8 % des voitures particulières. »
Bien qu’on puisse avoir l’impression d’un déséquilibre, en raison de la taille de l’Autriche, la densité est telle qu’on n’y est jamais loin d’un chargeur, même si la disponibilité ne sera pas toujours garantie, vu l’augmentation des ventes.
« Pour moi, l’infrastructure actuelle est suffisante, ajoute Robert Madas. Cependant, avec la part de marché croissante de l’électromobilité, la situation pourrait se tendre, si l’installation de nouvelles bornes ne suit pas le mouvement. »
Besoin d’investissements supplémentaires en recharge automobile
L’ACEA estime qu’environ 6,8 millions de bornes publiques de rechargement seront nécessaires d’ici 2030, les pays de l’UE favorisant les stratégies d’automobile zéro émission et les constructeurs continuant à se détourner des modèles à moteur thermique.
Mais avec un nombre de points de recharge qui augmente à un taux de 180 % comme ces cinq dernières années, on arrive au total de 307 000, loin de correspondre aux besoins. Ceux-ci supposeraient d’installer 22 fois plus de chargeurs par an.
Le règlement sur le déploiement d’une infrastructure pour carburants alternatifs (AFIR), proposé par la Commission européenne l’an dernier, est censé remédier au problème. Sans convaincre l’ACEA, pour qui ses ambitions sont tout à fait insuffisantes.
Le règlement AFIR dispose que pour chaque véhicule léger électrique à batterie (voiture de tourisme ou utilitaire léger) vendu dans un pays, 1 kW d’infrastructure publique doit être fournie, avec 0,66 kW pour chaque hybride rechargeable vendu.
En outre, sur le réseau routier principal RTE-T du continent, des parcs de recharge accessibles au public doivent être prévus tous les 60 km et fournir une puissance de sortie d’au moins 300 kW avec au minimum à 150 kW. D’ici 2030, la puissance totale de sortie de ces parcs doit doubler pour atteindre 600 kW, avec un minimum de deux bornes à 150 kW.
« Malgré quelques pays qui avancent à la vitesse grand V sur les installations, la majorité est à la traîne, aux yeux de l’ancien directeur général de l’ACEA Eric-Mark Huitema. Ces disparités criantes prouvent que le règlement AFIR doit fixer des objectifs forts et harmonisés sur tous les États membres.
Nous exhortons les instances décisionnaires à renforcer l’AFIR pour qu’il puisse faire son office de développement d’un réseau européen dense de points de recharge s’étendant du nord au sud et de l’est à l’ouest. »
L’infrastructure de recharge pourrait bien décider du sort du marché des véhicules électriques à batterie. Si un pays peine à installer assez de chargeurs, les automobilistes, en particulier sans accès au stationnement privé ni possibilité d’installer une borne chez eux, pourraient être dissuadés d’acheter ce type de motorisation.
Dans le contexte de l’interdiction par l’UE de la vente de modèles neufs essence, diesel et hybrides à partir de 2035, l’existence d’un solide réseau sur tout le continent est la condition de la confiance dans cette technologie. Faute de quoi, les ventes pourraient marquer le pas, les conducteurs optant pour le marché des essence et diesel d’occasion. Le temps presse donc : il faut investir aujourd’hui pour accélérer l’installation de points de recharge qui répondent aux besoins de demain.
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